Il fut un temps où les éléphants d'Asie aidaient les hommes à faire la guerre, à déboiser la jungle, à dégager des routes, à transporter des billes de bois, à franchir les montagnes. En ce temps-là, les éléphants étaient sacrés. Ils figuraient sur le drapeau de plusieurs nations.
Aujourd'hui, des machines ont pris leur place et ce sont des tracteurs qui sillonnent les forêts. L'une des plus belles traditions culturelles de toute l'Asie est en train de disparaître. C'est aussi un dommage social : pour chaque éléphant au travail, trois hommes lui consacraient leur vie : un comac d'âge mûr capable de communiquer avec lui, et qui devenait son complice, un comac plus jeune susceptible de prendre un jour la relève, et un homme d’écurie...
Beaucoup de ces hommes sont contraints à la misère et à l'exil par la mécanisation des exploitations forestières. Certaines années, plus de cent éléphants arpentent avec leur comac les trottoirs et les avenues de Bangkok, où ils comptent sur l'aumône des touristes. L'industrie forestière, encombrée d'éléphants domestiques, ne sait que faire de ces hommes et de ces animaux que la mécanisation laisse sans emploi... Parfois, dans ce pays bouddhiste où l'on considère les éléphants comme sacrés, un drame se produit, qui traumatise la nation. On vit ainsi, et des images en témoignent, l'un des éléphants de la ville s'effondre dans une fosse creusée pour les besoins de la construction du métro. C'était un soir de tempête, en pleine saison des pluies. L'animal ne parvenait plus à remonter la pente que la boue rendait glissante. Il lutta pendant des heures avant que les hommes mettent en place une grue pour lui venir en aide. On fixa des câbles autour de son corps. Mais quand on tenta de le soulever, à deux reprises, les sangles se rompirent. La troisième tentative fut la bonne. Cependant, l'animal avait souffert un calvaire de plusieurs heures. Une autre fois, un éléphant que les amphétamines et l'oppression du milieu urbain avaient rendu fou devint agressif et chargea des touristes. Il fallut l'abattre. Chaque fois qu'une semblable tragédie se produit, le gouvernement prend des mesures pour déporter les animaux, leurs comacs et les exploiteurs d'éléphants au dehors de la capitale. Ce n'est pour eux qu'un exil temporaire. Temporaire, car tant que ne sera pas réglé durablement le problème de la reconversion sociale de ces hommes, qui incarnent une tradition millénaire, les éléphants reviendront dans la cité ...
Trouver un asile définitif pour les éléphants de la mégapole, assurer à leurs comacs un avenir décent dans un monde qui les oublie, c'est ce que tente une fondation créée à l'initiative de la reine Sirikit de Thaïlande. Et c'est ainsi que quelques éléphants deviennent candidats au retour vers la forêt des origines ... Ils quittent Bangkok, sont emmenés vers les jungles du nord, dans la région de Lampang. Après des années d'exil, ils redécouvrent la nature sauvage. Les cornacs de ces éléphants doivent être aussi reconvertis. L'idée est d'en faire des gardes forestiers. Leur travail consiste à patrouiller dans la jungle pour traquer les braconniers et les bûcherons clandestins. Ils deviennent gardiens de la forêt.
« Retour à la Forêt de Bronze» prend pour point de départ l'aventure de ces hommes et de ces animaux. Comment la fiction tire-t-elle parti de la réalité? Nous découvrons ici les coulisses d'une tragédie du déracinement qui trouve, parfois, des solutions heureuses.
Ce documentaire nous fait partager les espoirs et, parfois, les déceptions de ces hommes et de ces femmes qui, comme quelques uns des meilleurs vétérinaires du monde, luttent pour la réhabilitation des éléphants des villes. Nous comprendrons que le sort fait à ces animaux symbolise pour eux la rupture d'un pacte avec la nature et que, selon eux également, sauver un éléphant, c'est faire l'apprentissage de ce respect de toute vie sans lequel l'homme perdrait sa dignité.
Ce documentaire dresse aussi le portrait de tout un peuple, et celui d'un pays extraordinaire qui se dessinent devant nous. Nous percevons mieux les contradictions et les paradoxes d'une nation entrée si vite dans l'ère moderne, avec un si lourd bagage culturel... Bangkok, Manhattan tropicale où des éléphants se faufilent entre gratte-ciel et pagode: c'est un choc entre deux univers, une collision frontale où le futur percute le passé.
A la jonction tectonique de ces deux mondes, des hommes et des femmes blessés, déracinés, désarçonnés et infiniment attachants pansent leurs plaies ... Leurs éléphants sont le symbole même de cette Asie en équilibre ...